All I Really Need [PV June] [TERMINÉ]

Il semblerait que certaines choses se feraient toujours prendre par un destin joueur riant de leurs malheurs. Le convive farceur ornait la table pour inviter la noblesse humaine avant de subitement retirer la nappe de nacre sur laquelle des mets plus somptueux que les autres faisaient envie aux invités. Tu ne faisais cependant pas partie de la masse. Tu te distinguais par ta prestance naturelle ainsi que ton charisme qui en donnait froid dans le dos. Les gens effleuraient les limites de ta santé mentale sans savoir ce qui se cachait dans le creux de ton cœur. Pas des larmes ou des tourments à en faire tourner les esprits. Simplement un gouffre sans fond et une béance à te questionner sur les raisons de ton existence.

« La voiture ne peut pas être brisée ! » Tu te retournais en entendant la voix tonitruante de ton père. Votre domestique se confessait en excuses en disant que tout était fait afin que le véhicule soit réparé dans les délais les plus brefs. « Seijuro-kun pourrait y jeter un œil. Il a toujours eu un faible pour la mécanique. Il n’y a rien qu’il ne sache faire. » Encore un autre compliment qui ne te touchait plus. Seijuro. Personne ne devrait avoir le droit de parler de toi en utilisant un prénom. Exception faite de tes camarades de Rakuzan. Reo faisait partie des rares pouvant user du nom ridicule « Sei-chan » sans avoir droit de goûter à ta propre médecine. Car il est vrai que tu es doué dans tous les domaines. Tu es absolu. « Non » répondis-tu clairement en entrant dans la salle à manger. « Ma place ne se trouve pas à réparer ce qui se brise. Tout ce qui est cassé doit aller à la poubelle. Surtout si la dite personne ne peut, par elle-même, refaire revenir l'objet à son état d'origine. » Tu regardais le domestique avec un air fou qui contrastait avec tes apparences de jeune noble. Le couteau à beurre se retournait sous tes doigts sans que ton père ne puisse même le voir. Personne ne pourrait dire comment celui-ci est arrivé dans tes mains. Tu caches ton jeu et en ressors plus puissant à chaque fois. Tu scrutes la goutte de sueur sur le front du domestique avant de te retourner vers ton père.

« Je pense donc que je devrais assurer mon propre transport pour les prochains jours. Il est inutile de vous en faire. Je reviendrai à la maison directement après mon cours de violon. Passez une agréable journée. » Les entraînements de basket ne constituaient pas ta seule force. Tu continuais la musique pour ta mère. Elle adorait le violon durant les nuits orageuses. Elle disait que cela était son éclair de lumière.

Akashi avait souvent pleuré quand il revenait à la maison les premiers jours après la mort de sa maman. Fini les délicieuses odeurs de biscuits quand il revenait des cours ou les encouragements. Elle lui avait promis de le voir devenir le meilleur joueur du Japon. Tu n’étais cependant pas dupe comme Akashi. Tu savais que les gens mentaient. Et tu ripostais avec une vérité saisissante en amenant parfois les convenances aux limites des extrêmes.

Tu retournes dans ta chambre prendre ton instrument de musique ainsi que les partitions minutieusement déposées sur ton bureau. « Devil’s Trill ». Tu apprenais à jouer cette pièce depuis plusieurs années et tu te jurais de la maitriser. Aucun violoniste ne pouvait prétendre avoir du talent sans avoir cette sonate dans son répertoire. Tu connaissais son histoire par cœur.

Tartini avait autrefois eu le rêve de vendre son âme au diable pour que ce dernier améliore une de ses capacités. Il avait choisi la musique et le mauvais ange est devenu son mentor. Le diable avait joué cette pièce à la fin de la journée pour montrer son véritable talent au bipède humain ayant croqué dans le délicieux et extatique fruit de la connaissance. Cette musique était la plus belle de toutes. Tartini ne pouvait croire en ce talent pur que possédait le diable. Mais le musicien se réveilla. Cette aventure. Cette musique. Ce sentiment. Tout cela avait été un rêve.

Et tu étais le diable qui prenait la place d’Akashi.

Il se dépêcha alors de prendre son violon pour retenir une partie de cette merveilleuse mélopée. Tartini avait alors appelé cette pièce « The Devil’s Trill ». Mais cela ne reflétait en aucun cas les véritables capacités de Lucifer. Cette beauté humaine était une once, faible poussière d’un talent démoniaque.

Et quand Akashi reviendrait à la surface, pourrait-il assurer les responsabilités de l’existence que tu as prises pour lui ?

Tu laissais ces questions pour marcher paisiblement dans la maison. Puis tu enfilas tes souliers proprement avant de sortir dehors. Les rayons solaires léchaient ta peau et se faufilaient au travers de tes cheveux. Les commissures de tes lèvres se relevaient doucement. Enfin un peu de liberté. Des bruits de course attiraient ton attention. Une jeune fille aux cheveux violets sortait de la maison voisine. « Tu ne devrais pas courir. Tu risques de tomber. » Tu fermes la porte de l’entrée avant de parvenir dans la rue.  Aucun sourire sur ton visage. Mais ta voix demeurait raisonnable et parfaitement mesurée. « La voiture est brisée. » dis-tu pour répondre à la question silencieuse que la jeune femme ne tarderait pas à te demander. « Je me contente donc de marcher aujourd’hui. » Tu marchais sans te retourner. Laissant June en arrière. Le début du chemin était le même pour se rendre à Kaijou et Rakuzan. La demoiselle te suivrait si cela lui tentait. Tu n’avais pas grand-chose à en faire, après tout.  

Tu marchais dans la rue en observant les maisons entourant la tienne. Architecture bancale qui avait des apparences ordinairement extraordinaires. La lumière tombait sur les demeures et tu en scrutais chacune des ombres. Artisans des abris sachant apprivoiser la beauté pour les pauvres de ce monde. Aucune de ces maisons ne se rapprochent de ton manoir japonais. « La noble et très ancienne maison des Akashi ». Tu n’avais même pas besoin de regarder en arrière pour sentir la pression de cette tradition. Habitude ancestrale qui ne te permettrait jamais de te battre contre le destin qui voulait tout te prendre. Shintaro avait raison en affirmant que ce dernier existe. Tous les humains sont des marionnettes dont les dieux tirent chacune des ficelles dans des éclats de rire gras.

Tes pas lents se coordonnaient aux mouvements que tu faisais en relevant les yeux vers les fenêtres. Des grandes ombres passaient furtivement. Parents couraient et hurlaient à leurs enfants de se dépêcher pour ne pas arriver en retard en classe. Ta cravate noire flotte tout doucement sous les taquineries du vent. Des existences aussi banales ne méritaient tout simplement pas de se voir insuffler cette flamme qui faisait vivre les humains. Pas comme toi qui explorait chaque facette de ce monde pour en apprendre tous les rouages. Pour trouver le point parfait pour pousser une personne au bord du suicide ou tout simplement le dernier coup pour te permettre de remporter la partie. Dames ne te résisteraient pas et échecs pouvaient bien se suivre. Ta vie était une improbabilité relevant du hasard.

Tu ne connaissais pas cette existence banale que tous vivaient sans jamais se poser de question. Marcher pour se rendre en cours faisait vibrer une partie de ton cœur sans même que tu ne le saches pourquoi. Akashi était profondément heureux. Il avait adoré ce moment dans sa vie où il pouvait aller où bon lui semblait sans se faire escorter. Mais plus rien depuis la mort de votre mère. À croire que cette dernière avait dérobé les dernières onces d’humanité de votre famille si brisée.

Tu ne comprenais pas les humains et pourquoi cette fille qui avait souri en entendant que ta voiture ne fonctionnait pas. Elle se réjouissait probablement de te voir marcher comme les roturiers de ce monde. La pensée te donnait envie de vomir. Tu ne serais jamais aussi bas que ces moins-que-rien. Poussière insignifiante sur un plancher de raison. Et c’était toi que l’on osait appeler vil et cruel ?

Un bruit sourd qui te fit baisser les yeux. June avait le visage contre le sol et semblait avoir un peu mal. Pauvre demoiselle si maladroite. Elle avait manifestement mal attaché ses lacets en partant ce matin. Ce comportement était purement indigne d’une demoiselle. Tu conservais pourtant tes apparences calmes. Dévoiler cette noirceur ne t’apporterait strictement rien. Mais tu restais fidèle à tes principes en ne faisant aucun mouvement pour lui venir en aide. Les gens dignes se relevaient tous seuls. Les perdants demeuraient au sol et tu prenais alors plaisir à les achever en des paroles aussi pointues que des coups de ciseaux. Instruments enfantins si dangereux dans les mains de ceux aimant jouer avec le feu.

June riait en plus. Ce relevait véritablement de la bêtise ou de quelconque manque d’esprit. La seule manière dont tu pourrais justifier son comportement est de prétendre que la demoiselle avait attaqué le sol et gagné contre ce dernier. Mais on ne se bat jamais contre des gens plus faibles que soi. On prend plaisir à les détruire. Et on parie sur celui qui le fera le plus souffrir. Tu continuais ton chemin sans passer un seul commentaire. Akashi aurait probablement aidé la demoiselle à se relever en la rassurant sur sa maladresse. Tu ne daignais pas agir. June ne tarda pas à te rattraper en quelques pas de course. Sa voix était claire et chantante. Tellement agréable qu’elle n’en tarderait pas à devenir énervante.

« Je n'ai rien. Hum... Je me demandais si ça ne te dérangeait pas qu'on fasse un bout du chemin ensemble ? » Tu ne trouvais même pas le temps de répondre que la jeune fille enchaina rapidement en sortant des gâteaux au chocolat. Tu demeuras de marbre en fixant les pâtisseries dans les sacs de plastique. Elles avaient l’air délicieuses. Mais tu devais penser à ton alimentation. Tu ne pouvais pas te remplir la panse de bonbons ou de chips comme tu l’entendais. Conquérir ton corps pour que ce dernier soit au summum de son potentiel. Telle était ta quête. June ne paraissait pas du tout se formaliser des centaines de calories qui se trouvaient dans ses mains. Elle était aussi gentille que d’habitude. « Tu en veux ? Au fait, je me demandais, tu la récupères quand ta voiture ? » Elle ne te laisserait probablement pas conserver le silence plus longtemps. Toi qui restais habituellement silencieux quand la situation te le permettait. Tu parlais pour réunir les gens et pour souhaiter la bienvenue dans les groupes. C’était la raison pour laquelle tu avais cogné à la porte de June cette première fois. Pour lui souhaiter la bienvenue dans le quartier, à elle, ta nouvelle voisine. De là à savoir si vous étiez amis, c’était probablement une autre histoire. Ton cœur était entouré de barbelés et de dynamite.

Tu finis par esquisser un sourire et laisser tomber ta garde habituelle. Il fallait bien être courtois auprès des demoiselles de ce monde. Un peu de gentillesse ne tue personne, si on excepte le plaisir sadique que tu prenais à jouer avec tes proies. Toi qui es aussi malin que le renard et aussi carnassier que le plus virulent des vautours. « J’ai bien mangé ce matin. Tu devrais faire attention au chocolat de si bonne heure, ce n’est pas bon pour la ligne. » Tu cherchais une pomme dans ton sac et la refilai à la demoiselle. « Un fruit te rassasiera davantage. Tu peux la manger » dis-tu avec ton calme habituel et l’ombre d’un sourire. « Je ne l’ai pas empoisonnée ». Quoique ç'aurait été parfaitement ton genre.

Tu sortis une autre pomme dans laquelle tu croquais avec délice. Le jus sucré du fruit titillait de plaisir tes papilles gustatives devenues lasses des plats lourds de ta propre maison. Tu vivais dans le luxe avec un esprit de guerrier. Ta vie avait des consonances d’oxymore. Tu avalas ta bouchée en continuant de marcher, sans regarder June. « Ma voiture est en réparation. Je ne sais pas combien de temps cela prendra. Tout dépendra de l’employé qui tentera de la réparer. Je ne me salirai pas les mains à tenter de trouver le problème moi-même. » Les bons leaders ont plusieurs ennemis. Mais les meilleurs des dirigeants n’en ont tout simplement aucun. Ils les ont éliminés au fur et à mesure. Personne ne resterait dans ton chemin et tu ne ferais le sale boulot de personne. Tu te retournes vers June. « Te plais-tu à Kaijou finalement ? » June avait déménagé assez récemment après tout. Et tu te demandais surtout si elle avait rencontré ton camarade. Blond bruyant qui copiait pour survivre sur le terrain et dont les capacités étaient éblouissantes. La question pouvait sembler brusque, mais tu étais comme ça, clair dans tes paroles et de brume dans tes intentions. Et peu importait la réponse, cette dernière valait toujours plus que le silence. 

Tu continuais donc de marcher en regardant ton amie avaler sa pomme de travers. June ne prenait visiblement pas bien le sous-entendu sur ton ancien camarade. Tu ne connaissais pas vraiment les détails de leur relation. Peut-être se détestaient-ils. Tu portais ton attention sur les maisons en décrivant dans ta tête des éléments de leur conception architecturale. On ne pourrait jamais souligner à quel point ton talent dépassait tout entendement. Le fait de pouvoir poser des mots sur tout ce qui était autour de toi te permettait de prendre conscience de leur existence. Distinguer les teintes de violet te permettait de faire exister les déclinaisons de cette couleur douce que les lavandes prenaient dans une aura florissante. Le lilas n’existait pas dans la tête de certaines personnes. Il prenait une teinte générique. Et cela était un outrage au monde et à ces élans humanistes qui épousaient ton âme le temps de quelques instants.

June prit la parole pour répondre à la question que tu venais de lui poser. Elle ne passait pas par le moindre chemin de traverse. « Et bien, les gens sont sympas là-bas. Il y a juste un mec que je ne peux pas voir. Il est du genre bruyant, même très bruyant. En plus de tout, il est suivi par une bande de fans hystériques. Je me demande d'ailleurs ce qu'elle lui trouve, car, non seulement, il n'est pas intéressant, et je ne vois pas du tout ce qui le rend si attirant. » Tu la scrutes quelques secondes avant de reporter ton attention sur le chemin en avant de toi. Tu laissais échapper un petit rire moqueur. Bien contre toi. Ryouta était toujours égal à lui-même. Il avait intérêt à ne pas avoir oublié le pacte  que vous avez fait lorsque vous avez rejoint différentes équipes. Tu savais sans même que June ne te le dise de qui elle parlait. Le plus étrange dans tout cela est que tu ne te remettais même pas en question. Toutes tes suppositions étaient absolues. Chaque flèche que tu tirais atteignait le cœur de la cible. Et contrairement à Shintaro… cela ne te prenait pas cinquante ans avant de pouvoir atteindre ton but. Tu ne doutais pas de ses capacités de tireur. Tu étais simplement meilleur.

Ryouta avait ainsi toujours ses fans. Tu le raillerais si celui-ci se trouvait devant toi. Mais tu connaissais mieux que quiconque le potentiel du blond qui avait eu le talent et la prestance de vous rejoindre comme titulaire. Il avait surpassé Haizaki. Tu ne le sous-estimerais jamais tout comme tu ne sous-estimerais jamais Tetsuya. Chacun avait son talent qui devait être reconnu en dépit de sa personnalité. June te décevait sur ce point. Elle enchaîna sur une autre question. « Et toi, comment ça se passe à Rakuzan ? » Ce changement de sujet était terriblement niais. Tu arrêtais de marcher pour te retourner vers la demoiselle. Insulter Ryouta te retournait les entrailles et éveillait en toi ce diable que tu conservais en laisse. Car il existait et ne se montrait pas sous toutes les occasions. Il attendait avec impatience les matchs de basket pour briser et détruire les joueurs alentours. « Ne sous-estime pas Ryouta. Il est probablement le meilleur joueur de votre école. Les autres ne sont que des moins-que-rien. Nous les écraserons lors des prochains matchs. Enfin… il faudrait bien que vous parveniez à nous pour cela » dis-tu de ta voix claire.  

Personne ne pouvait réellement insulter un des membres de ton ancienne équipe sans en prendre pour son grade.  Tu parlais encore une fois comme si tu pouvais tout voir et si tu étais le possesseur de toutes les combinaisons accédant à la victoire. Tu la désirais auparavant. Tu aurais tué pour devenir le meilleur dans toutes tes matières et tes activités extracurriculaires. Maintenant, tout était devenu naturel. Tu savais que tu allais gagner. Tu ne connaissais pas la défaite. Et jamais tu ne comptais perdre quoi que ce soit et contre qui que ce soit.

June ne devait pas te voir dans cette position. Avec cette voix feutrée et ce calme de loup qui attendait le moment opportun pour déchirer les chairs de son adversaire sur le terrain afin de pouvoir arracher la victoire des crocs ennemis. La demoiselle ne connaissait probablement pas ton côté plus sombre. Mais il existait et existerait tant que tu étais le seul aux commandes. Akashi pouvait conserver la gentillesse et la bienveillance. Tu ne désirais que le pouvoir.

Tu souris comme si rien ne s’était passé avant de reprendre la marche que tu avais momentanément arrêtée. « La compétition est forte maintenant que la Winter Cup se prépare » dis-tu pour expliquer ton lapsus. « Tu devrais soutenir les membres de ton école. Il est important pour un lycée de resserrer ses liens avant un évènement de cette envergure. Se plaindre d’un élève est perdre de vue l’esprit d’appartenance propre aux lycées, ne trouves-tu pas ? ». Ta voix était plus douce et avait repris son timbre claironnant. « Ça se passe bien à Rakuzan. Nous nous entraînons en vue des prochains tournois. Les filles font de leur mieux  elles aussi. Nous ne perdrons pas. En ce qui concerne l’administration… tout va plutôt rondement. Je suis président du conseil étudiant. Les choses roulent selon mon désir » affirma-tu. Le silence s’installait ensuite entre vous deux. « Tu devrais te trouver un club, June » finis-tu par dire. « Cela te permettra de faire de nouvelles connaissances. Et peut-être à apprendre à cesser de narguer les autres. » Tu avais dit cela sur un ton poli bien que la remarque puisse sonner acerbe. Comme on dit… l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Tu riais de ta propre plaisanterie qui te semblait si amusante. Tu te riais de cette moquerie parfaitement gratuite qui avait eu pour effet de surprendre la jeune femme. Être supérieur aux autres te donnait le droit de toucher des paliers que personne ne pourrait jamais atteindre. June se recroquevillait dans ses derniers retranchements. Tu ne trouvais pas cela comique. Elle retournait simplement à sa place. Personne ne pouvait insulter ton équipe devant toi sans en payer le moindre prix. Tu te débarrasseras de quiconque osait lever le ton sur un de tes proches et un de tes coéquipiers. Car tu as toujours été le capitaine et le dirigeant. Personne ne pouvait émettre de jugements. « Je ne vois pas en quoi je nargue les autres. Enfin ... On en parlera plus tard. En ce qui concerne Kise, sache que je ne le sous-estime pas. En vérité, ce n'est pas vraiment lui qui m'énerve. C'est toutes ses stupides fans qu'il ne cesse d'encourager. Enfin, c'est mon ressentit. Tu sais, c'est toujours quand tu as envie d'être tranquille qu'elles sont là à te hurler dans les oreilles, où à te pousser juste pour l'apercevoir. En fait, c'est surtout les hystériques qui m'énervent. Sauf qu'il n'arrange rien. » Bien sûr que cette demoiselle narguait les autres. Elle ne le faisait pas de façon ouverte. Mais elle émettait tout doucement une opinion sans en chercher à savoir le fin fond de la vérité. Tu comprenais que l’on pouvait détester les autres autour de soi sans raison apparente. Mais tu te calmais en entendant parler de ces fans. Ryouta ne changerait donc jamais. Puéril blond usant de ses atouts et utilisant le basket comme un moyen de briller. June arrêtait de parler quelques temps et tu lui jetais un regard en coin. Qu’elle dise toute la vérité et rien que la vérité. Qu’elle laisse libre cours aux doutes qui lui tenaillaient l’esprit. « Après, je sais qu'il joue au basket, mais je n'y connais pas grand chose, et je n'ai jamais vu de match. Alors, je te crois quand tu dis que c'est probablement le meilleur, mais les autres ... Je ne pense pas que ça ne soit que des moins-que-rien. Je connais très peu de choses au basket, mais je sais que c'est un jeu d'équipe. Je pense que c'est surtout le travail d'équipe qui fait le tout. Un joueur peut être excellent, sans une équipe, il n'est plus rien. »

Oh. Touché. Tu aurais éclaté de rire si tu avais été un tantinet plus expressif. Mais tu avais été élevé dans les règles de l’art et adoptait toujours le comportement le plus noble en présence des autres. Ta vie était aussi ordonnée que les jeux stratégiques auxquels tu jouais en tentant de résoudre quelconque difficile énigme sur le plateau de la vie. June n’était pas un mystère pour toi. Tu n’avais probablement pas vu le monde comme elle. Toi qui étais resté prisonnier de ta cage or dans laquelle les hommes sans visage te restaurent de plats plus riches les uns que les autres. Ton abreuvoir est de vin et la paille dans laquelle tu reposes est constitué de diamants et de perles. Tu es l'oiseau qui chante et qui crie pour sa libération. Akashi Seijuro. Ce nom était à la fois malédiction et bénédiction.

Tu restais aussi droit que d’habitude. Pas de rire ou de sourire tendre pour la jeune femme. On aurait presque pu croire que tu t’en fichais. Mais tes yeux brillaient d’un air penseur alors que tu pesais le pour et le contre de chacune de tes paroles. Tu étais prudent. June et toi faisiez attention aux mots que vous disiez. « Il est facile pour les gens de parler de jeu et de travail d’équipe. Mais les humains ne sont pas nés égaux. Il y a toujours un capitaine qui tire les ficelles du jeu et un coach portant ses joueurs au bout de leurs rêves. Chaque équipe a aussi un as. Un joueur sur lequel compter pour marquer les points en situation de crise. Ryouta est votre as. Il est l’as de Kaijou. C’est pour ça que sans lui… ce ne serait pas la même chose. » Ta voix était claironnante et sérieuse. Douce pour un adolescent de ton âge en dépit de la dureté des paroles. Tu avais énoncé les mots comme on disait une vérité.  Tu continuais de marcher avant de te radoucir. « J’ai une grande considération pour mon équipe. Il ne faut pas croire le contraire. Je suis un meneur de jeu, après tout. C'est mon rôle de motiver les troupes. » Eh non. Les membres de Rakuzan étaient doués et tu respectais leurs talents individuels. Sans eux, ce ne serait probablement pas la même chose. Ils étaient utiles dans tes plans et te permettaient de ne pas trop te salir les mains. Le jour où tu les abandonnerai… ce sera le jour où tu dévoileras ta vraie force.

Tu décidas de lui mettre la vérité en face. Ton œil doré croisa ceux de June avec un éclat espiègle qui ne semblait pas être le tien. « Tu dis vouloir rejoindre le club de natation. C’est là la véritable fissure. La natation est un sport individuel que vous pratiquerez en équipe. Vous vous encouragerez pour chacune de vos nages. Vous rirez dans le train en vous rendant aux compétitions. Mais quand tu seras sur le bloc de départ, ce sera ta performance qui comptera. Tu souhaiteras être la plus rapide. Je ne t’en blâme pas. C’est normal de vouloir gagner. On reparlera dans quelques mois et on verra si tu te soucieras davantage du temps de tes coéquipiers ou de leur état d’esprit. » Paroles blessantes et coulant sans interruption dans le fond de ta gorge. Tes paroles sonnaient comme une inéluctable prophétie dans laquelle tu condamnais ta pauvre voisine. Mais elle était quand même ton amie. Elle aurait besoin d’un peu de soutien si elle décidait de se lancer dans un sport. Tu avais toujours eu ta mère. Tu baissas la tête avant de reprendre la parole. « Si tu dois choisir une nage, je te conseille le dos. Ta carrure t’avantagerait. Je pourrai même t’aider pour tes entraînements si tu le souhaites. » Promesse tacite pour soutenir la jeune femme dans ses talents. June avait le potentiel de briller quelque part où peu de gens sauraient se faire une place. Le monde de la natation est dur et galvanisant. Rien n’est plus grisant que le coup de feu signalant le début d’une course. Faire des allers-retours dans un bassin le plus rapidement possible. Sans possibilité de sortir avant la fin. Se noyant dans son talent. Luttant pour sa respiration. Le sport était une cage. Une cage dorée.

Les gens ne connaissent probablement pas le nombre de masques que tu portes afin de pouvoir correspondre aux envies de chacun. Tu es tout aussi bien le meneur que le fils de bonne famille. Tu es aussi bien le meilleur dresseur de chevaux que le jeune homme le plus prolifique de ton institution. Ce que ton nom pesait lourd. Tout comme les multiples billets que ton père conservait jalousement dans son compte.  

Cette pression était inexorable. Elle te tordait les intestins et te coupait le souffle quand tu prenais trop de temps pour y penser. Ces moments étaient rares dans ta vie où tout défilait si rapidement sans te laisser le temps de prendre une bouffée de cet air pourtant si vivifiant. Une partie de toi aurait voulu la fuir pour se rendre sur des terres où personne ne connaissait ce nom de famille reflétant la richesse du continent japonais. Un continent. Pas seulement un pays. Un continent.

Ton père avait su assujettir le monde des entreprises asiatiques. Il était lui aussi un empereur quand tu te penchais sur ton plateau de jeu pour y penser. Vous étiez une famille de conquérants et tu devais faire honneur à votre nom. Tu ne resterais sinon que Seijuro. Et peu importe ce que les autres pouvaient dire. Tu connaissais tes faiblesses comme tu connaissais tes forces. Il y avait une seule chose dont tu avais vraiment besoin. Un peu de reconnaissance et le sentiment de pouvoir avoir correspondu aux attentes de ta famille. Akashi avait un trou dans son cœur. Et tu faisais tout pour pouvoir reconstruire votre vie sans te fier sur les autres autour de toi. Ils étaient des acteurs ; figurants de ta divine existence.

June semblait avoir pris beaucoup plus de recul en te parlant. Tu ne pouvais malheureusement pas changer comme cela. Il y avait plusieurs années que tu avais réclamé ce corps dont ce perdant utilisait à tort et à travers. Il avait une bonne intelligence. Mais il lui manquait ce charisme que tu usais pour forcer les autres à se soumettre à ta parole. June pesait chacun de ses mots comme une roturière le faisait quand elle devait se rendre au marché. Pas trop pour ne pas perdre ses moyens et juste assez pour donner l’impression de pouvoir se payer un peu de ses luxes risibles. Elle ne prétendait que pouvoir te faire face quans son âme se tapissait devant ta grandeur. Tu avais vu des millions de gens comme cela. Mais elle te laissait tout de même une impression intrigante.

June avait bien évidemment concédé deux ou trois points de ta tirade aux allures éternelles. Te soumettant de fil en aiguille les broderies de ses pensées que tu recousais habilement. Et elle avait souri comme on sourit rarement en voyant que tu aimais ton équipe. Te prenait-elle pour un monstre sans cœur quand tout ce que tu désirais était simplement assurer la victoire ? Elle avait probablement raison. Mais mieux valait être craint que se trouver adulé.  

Un point dans son discours avait fait ressurgir un peu de rancune. La demoiselle avait dit que le sport était un loisir. Mais quel est le but de jouer si on ne compte pas les points ? Tu soupirais en portant tes yeux vairons sur la toile du ciel. Nietzsche avait raison. Les humains avaient subi un renversement et les faibles se faisaient maintenant passer pour les puissants. Héros grecs dominant de leur milles attributs les monstres pour les renverser. Comme on renversait ses démons intérieurs et obtenir en fin de compte la reconnaissance.

Tu étais un Achille trempé dans un or pur auquel on avait oublié de recouvrir de cette mirifique parure ton cœur orgueilleux. Il était encore faible et aux soumissions des marais et des vents. La tempête pouvait y surgir. Tu voguais au rythme de tes sentiments en fin de compte. En avait-il toujours été ainsi ? June te répondit.

« Je te remercie. C'est gentil de vouloir m'aider. Plus je discute avec toi, plus j'ai vraiment envie d'intégrer le club de natation. » Tu acquiesçais brièvement de la tête avec une certaine sympathie. Ce ne venait pas aussi naturellement que cela. Mais elle semblait continuer à douter. Tu fronçais les sourcils. « Seulement ... Je ne serais pas comment te rendre ce service. Après tout, tu es déjà très doué au basket et moi, je n'y connais pas grand chose. » Tu haussais les épaules avant de parler avec le même sérieux.  « Ça me ferait tout simplement plaisir. » Non… cela sonnait faux. Elle devait bien se douter que ton aide ne serait pas gratuite. Il y avait une chose dont tu avais besoin. Tout ce dont tu avais réellement besoin.

« Essaie simplement de gagner les compétitions auxquelles tu participeras. Le mérite ne revient pas seulement au nageur, mais aussi à l’entraîneur. Comme je te l’ai dit, c’est lui qui porte son équipe à la victoire. » Et dire que tu misais tout sur une seule nageuse… Ton père verrait bien que tu pouvais faire plus que remporter la victoire. Tu pouvais utiliser les autres pour gagner à travers ceux-ci. Et il te reconnaitrait enfin comme son digne héritier.

Tu arrivais finalement au bout de la route. La marche avait passé plus vite que tu ne l’aurais cru. Mais ce serait ici que vos chemins se sépareraient. Tu te tournais vers June et lui parla. « Au revoir June. On se reverra à la piscine municipale mercredi soir. 18h00. Il est temps pour l’équipe de Kaijou d’accueillir la meilleure nageuse féminine de leur histoire. » Et tu partis sur ses mots. Te rendant en direction de ta propre institution. Ton empire appartenait à ce sport de la balle orange. Il fallait bien laisser une ou deux terres aux autres. Tu souris. Il te tardait de voir ce dont la jeune femme serait capable mercredi. Cette reconnaissance. Cette victoire. June. Elle était tout ce dont tu avais besoin.

HRP: