Kidnapping express [PV Yumi]

Un grand soupir quitta tes lèvres pincées. Assise sur ton petit banc, un lapin rose à l’effigie de la mascotte du parc sous le bras, tu te demandais toujours comment tu avais fait pour atterrir dans cet endroit qui puait les gens pleins de sueurs. Certains avaient dû sous-estimer le pouvoir odorant de leurs aisselles en cette journée ensoleillée. Tes jambes se balançaient au rythme de la musique endiablée du manège derrière toi alors que tes yeux poignardaient les individus qu’ils rencontraient, tout en faisant attention d’éviter celui des employés : tu ne voulais pas qu’ils croient qu’une enfant s’était perdue et qu’elle attendait ses parents. Non, la vérité était toute autre. En fait, tu attendais Chiharu, ta meilleure amie. Elle s’était jetée sur un garçon de son gout et avait disparu depuis une vingtaine de minutes, le temps de faire un manège et d’avoir son numéro. C’était une méthode qui lui avait rapporté beaucoup de succès. Ou peut-être était-ce son parechoc bien rembourré qui faisait tourner les têtes ?

Tu soupiras à nouveau, en ajustant ta casquette bleu marin délavé sur ta tête et en resserrant la peluche que tu avais gagnée dans un jeu de tir. À plusieurs reprises tes mains s’étaient dirigées vers ta poitrine, cherchant l’appareil photo qui y prenait habituellement place. Mais cet endroit était trop dangereux pour ton petit bijou. Alors au lieu de passer ta rage sur chaque cliché, tu ruminais. Tu te disais que la chance t’avait renié dès la naissance. Sauf cette journée là, au Maji Burger, où tu adorais y manger des coupes glacées au caramel après les cours, juste avant de retourner à la maison. Question de te refaire des forces mentales. Il y avait eu ce concours auquel tu n’avais rien compris et tu avais gagné. Différents prix étaient affichés, du genre, voyage aux Amériques, nouvelle voiture ou encore nouvelle garde-robe. C’était du marketing ! Tu croyais pouvoir négocier celui que tu avais remporté avec la caissière, mais c’était impossible. Même en agitant ta facture gagnante de tout bord tout côté. Tu étais l’heureuse propriétaire d’un laissez-passer VIP dans le parc d’attractions du coin, l’Expérience. Ah ! Mais tu n’étais pas si chanceuse au final : les manèges, ça te donnait envie de régurgiter tes entrailles et même un peu plus.

C’est une paire de bras levés vers le ciel qui attira ton attention dans ce chaos de corps ambulants. Chiharu gambadait dans ta direction, sa main dans celle d’un homme à la gueule mangé par une barbe naissante – elle les avait toujours aimés plus vieux – alors qu’un autre garçon semblait les suivre timidement. Tu t’étais levé et avais franchi lamentablement les quelques pas qui vous séparaient. Ta meilleure amie fit les présentations rapidement.

Hoshi, tu sais que t’as une vraie tête de poisson rouge avec les noms ?

Tu ne fis même pas un effort pour remémorer les leurs. Ils étaient déjà tombés dans l’oubli. Pour toi, ils étaient Barbe Bleue et Cowboy, le premier à cause de sa barbe et le second à cause de son chapeau digne des Far West américains. Tu leur fis un petit sourire en guise de salutation, alors que tes océans glacés demandaient seulement des explications à la brunette. Qu’est-ce qu’elle avait derrière sa putain de grosse tête de nunuche ? Ah ! Oui oui, tu venais de comprendre : elle devait avoir dit au Cowboy qu’elle avait une pote bien foutue (le pire mensonge de l’univers) pour que les deux amis décident de la suivre. Ils auraient chacun une nana. C’était l’monde parfait. Il devait être déçu, le pauvre, de voir que tu étais habillée de ton t-shirt rose bonbon dix fois trop grand pour toi ainsi que d’un short de jeans et qu’il n’y avait absolument rien à mater. Tu te réjouissais de ton choix vestimentaire. Ton dos s’était courbé légèrement, comme si tu riais. Et c’était le cas. Intérieurement.

Mais la réelle réponse à ta question s’envola bien rapidement des lèvres de Chiharu : faire le Cerbère. Le manège qui faisait peur, qui donnait envie de faire dans ton froc et qui donnait envie d’appeler maman à tue-tête comme dans une comptine d’enfant. Et quand on faisait un manège épeurant, quelles filles ne voulaient pas se réfugier dans les bras fort d’un homme ? Tu avais fait attention de te tenir loin de l’attraction, mais comme tu le savais déjà, tu n’étais pas née chanceuse. Tu feignis l’envie de pipi pressante, mais la brunette lut en toi encore mieux que dans un livre ouvert. Elle n’eut pas recours à beaucoup de force pour te pousser dans la direction qu’elle souhaitait, malgré le fait que tu gigotais de tout bord tout côté comme un vers de terre sous la pluie.  

Tous ensemble – et toi prise en otage par la poigne de ton amie – vous marchèrent en direction de l’enfer même. Plus tu t’approchais, plus tu entendais les cris des vivants percer tes tympans. Tes mains étaient devenues moites et ton cœur pouvait surement faire concurrence à un moteur de 500 chevaux. Ça y ait, vous étiez dans la courte ligne des VIP. Tu avais rapidement remarqué que Chiharu et Barbe Bleue avaient besoins de contacts physiques. Des petites caresses par-ci, par-là, accompagnées de blagues bien nazes pour détendre l’atmosphère. Peut-être serais-tu capable de faire le manège avec ta meilleure amie. Au bout de quelques minutes, juste avant le moment fatidique où il était impossible de faire marche arrière, les deux amoureux te laissèrent avec le timide, là, en plan. Ils avaient soi-disant oublié un truc à l’autre manège qu’ils avaient fait auparavant.

« Va t’faire foutre Chiharu ! »

Tu avais crié au point de t’époumoner. Salope ! Tu la voyais s’éloigner comme une voleuse. Tu venais de te faire poser un lapin. Entre les clôtures, les géants et le rancard improvisé que la brunette t’avait filé, il n’y avait pas moyen pour toi de sortir de là. Tu étais faite comme un putain d’rat. Tu serais jumelé avec ce garçon bizarre et tu l’imaginais déjà s’accrocher à toi durant le trajet. C’était un plan à la con. En plus, il était hyper ridicule avec son chandail trop petit pour ses bras. Peut-être que le chandail appartenait à sa sœur tient ? Quand tu le fixais, tu ne pouvais arrêter d’y voir la tête d’un homme (ou plutôt d’un cheval avec la dentition qu’il avait) sortir d’un nuage musculaire. Si tu éclatais de rire à l’habitude face à une image mentale si farfelue, tu ne pouvais que réussir à bouder.

La file avançait de plus en plus et tu sentais ton heure venir. Les couples et les amis embarquaient en pair dans les wagons avant de s’élancer sur les rails. Tu ne voulais pas embarquer dans ce manège … et certainement pas avec ce mec bizarre. Sans réfléchir, tu lui lanças ta peluche au visage alors qu’il parlait de météo, question de faire diversion. Tu exécutas un mouvement latéral en dépassant ceux qui étaient devant toi, agrippant la main d’une fille au passage avant de l’entrainer avec toi dans le wagon libre qui venait d’arriver. Tu t’en fichais de sa tronche et si elle avait des pustules plein la gueule. C’était mieux que l’autre saucisson. Tu l’avais forcée à s’assoir et avait même bouclé sa ceinture avant la tienne. Oui, tu la kidnappais le temps d’un tour.

« S’cuse moi gamine, mais tu m’sauve la vie. » Avais-tu dit haut et fort en fixant le garçon sans nom prendre le prochain wagon.

La voiture, à l’allure de tête de chien, s’élança tranquillement vers un trajet qui ressemblerait probablement – dans ta tête en tout cas – à une aventure digne du film Destination finale.