A la vie comme à la mort

Kyô & Takara

Elle ne sait même pas comment elle est arrivée jusque là. Ses pieds l'ont guidés tous seuls, elle a avancé sans voir la route, sans faire attention à rien. Elle se sent vide, elle a le cœur arraché, il est resté là, sur cette table d'opération en métal froide et austère, avec le corps sans vie d'Allie qu'on recouvre d'un drap.  Un frisson secoua son échine. Non... Non elle ne veut pas y repenser, surtout pas. Elle veut oublier, tout, absolument tout. Effacer les choses, revenir en arrière. Si seulement...

Si seulement quoi ? Si seulement elle avait fait plus attention à la route, si seulement elle n'avait pas fait venir Allie sur ce terrain, si seulement elle n'avait pas fais la fille trop prude et ne s'était engueulé avec Kyo, rien de tout ça ne serait arrivé, n'est-ce pas ? Avec des 'si', on referait le monde ouais, mais ce ne sont que des possibilités, rien d'autre. Et la réalité est là. Allie est morte et elle a encore son sang sur les doigts, elle peut encore sentir son souffle qui s'enfuie de son corps et ça la bouffe littéralement.

Alors voilà. Elle est là maintenant. Takara est arrivée devant la porte des Kiseki, mue par un instinct incontrôlable. Elle portait encore ses vêtements sales, tâchés de sueur et de sang, son jean un peu déchiré même dans sa chute sur la route. Des bandages entouraient sa tête et son poignet gauche, et ses cheveux étaient plus ébouriffés que jamais, ses yeux cerclés de cernes. Mais cela lui passait tellement au dessus de la tête, comme tout le reste. Et quand la maîtresse de maison ouvre la porte, la jeune fille ne résiste plus. Elle éclate en sanglots et court se réfugier dans les bras de celle que, petite, elle surnommait la Géante Endormie et qu'elle allait visiter toutes les semaines, avec ou sans Kyô d'ailleurs. Elle voudrait tant redevenir cette petite fille insouciante, qui n'avait que pour seul intérêt de se chamailler avec ce drôle de garçon rencontré au hasard d'une flèche et pour qui désormais elle se consumait corps et âme.

Elle pleure, elle perds pied. Les larmes dévalent ses joues tandis que Madame Kiseki lui caresse les cheveux pour tenter de l'apaiser, chantonnant une berceuse en suédois. Sa voix est douce, sa main est chaude, pourtant Takara ne parvint à sentir son réconfort, elle hoquète et suffoque, s'étouffant dans ses larmes. Elle ne peut pas fermer les yeux, sitôt qu'elle le fait elle voit Allie. Elle a encore l'impression que ses doigts sont poisseux de son sang, pourtant non, les infirmiers lui ont lavés les mains. Mais la sensation la colle, s'agrippe à sa peau. Et Takara perds pied.

Soudain une voix. Familière. Chaleureuse. Une voix qu'elle connaît, qu'elle désire, qu'elle a en vain supplié de venir la chercher. Dans un effort qui semble lui vampiriser toute son énergie – depuis quand est-elle aussi faible, aussi détruite ? –, elle parvint à relever la tête, le regard brouillé par l'eau salée qui coule sans relâche.

« K-Kyô... » gémit la jeune fille d'une voix rauque.

C'est bien lui. Il est là, prêt d'elle. Soudain, une peur, stupide mais incontrôlable la saisit. Comme en transe, Takara se redresse, s'arrachant à l'étreinte de Madame Kiseki. Elle titube sur ses jambes mal assurées, sa vision trouble – le traumatisme crânien subit est minime, mais pas sans conséquence pour autant. Elle s'approche de lui et ses doigts s'agrippent avec l'énergie du désespoir à son t-shirt, juste au niveau de son cœur.

La perception est faible, mais elle peut sentir à travers ses doigts son cœur qui bat dans sa poitrine. Le son est doux, régulier, rassurant. Il est vivant. Takara redresse lentement la tête et plonge son regard innondé dans le sien, son corps frêle et épuisé agité de tremblements.

« Kyô.... tu vas pas mourir hein ? Promet. Promet que tu mourras jamais. »

Sa voix se casse. Sa supplique est hachurée de sanglots. C'est stupide, mais pour l'heure c'est sa seule crainte. Elle a déjà perdue Allie. Si Kyô venait à mourir, elle ne s'en remettrai jamais. Il est son Tout. Takara a besoin de lui, à un point que même elle ne l'imaginait.
   

A la vie comme à la mort

Kyô & Takara

Elle tremble encore, son corps ne parvient à se calmer, à oublier. Elle se sent si faible et misérable désormais... si pathétique. Que diraient ses “filles” si elles voyaient leur fière capitaine ainsi ? Mais Takara est humaine, malgré qu'on la croit parfois faîte d'acier, son armure est plus facile à ébrécher qu'on ne le croit. Docile cependant, elle suit Kyo quand ce dernier l'entraîne dans la salle de bain et la fait asseoir sur le rebord de la baignoire. Tête basse, elle se sent affreusement fatiguée et pourtant le sommeil la fuit tandis que les souvenirs eux, lui parasitent l'esprit et ne veulent la laisser en paix. Elle sursaute et redresse la tête en sentant son amant s'éloigner pour aller lui chercher des vêtements.

La Kurokawa tends la main vers lui mais la porte se referme déjà sur la silhouette du bru avant qu'elle n'ait le temps de dire un mot. Elle frissonne et ramène sa main sur son genoux, restant là, sans bouger. Elle ne se sent pas la force de faire un pas de plus pour le moment. Ses jambes tremblent par intermittence, pareilles à celle d'un faon apeuré. Finalement, Kyo revient et lui prend les mains, lui expliquant avec douceur. La brune secoue un peu la tête.

« N-Non. Reste s'il te plait... Ne me laisse pas toute seule. » demande-t-elle d'une petite voix encore gonflée par le chagrin, bien que ses larmes aient finalement cessées de couler.

Elle ne veut plus le quitter des yeux, elle a l'impression que si elle s'éloigne de lui, ne serait-ce qu'une seconde, elle pourrait le perdre à tout jamais. C'est stupide, mais son besoin de Kyo est presque vital, pour le moment plus que jamais. Un hochement de tête. L'adolescente perdue le laisse prendre soin d'elle, passer le gant gorgé d'eau sur son visage, savourant la sensation de fraicheur sur sa peau. Un sourire, maigre et hésitant, mais sincère, étire ses lèvres en entendant ce surnom qu'il utilisait quand ils étaient enfants et qui avait toujours le don de le faire protester.

« Je suis pas petite, » proteste-t-elle faiblement. « C'est toi qui est trop grand, fichu cosplayeur à la noix. »

Le ton n'y est pas, mais la complicité demeure. La jeune fille croise son regard et elle essaie d'y faire passer son amour et sa reconnaissance. Elle veut lui dire merci mais elle n'y parvient avec des mots, cependant elle se doute que le jeune homme comprendra. Il la connait mieux que personne après tout. Takara sait qu'elle peut compter sur Kyo. La jeune fille inspire et redresse un peu la tête.

« Je... J'arrivais pas à dormir. Je suis sortie faire un basket avec Allie et... » sa voix se brise. « On rentrait chez elle... On rigolait, je sais plus pourquoi et là y a la... » ses ongles s'enfoncent dans la paume de ses mains et sa respiration semble se bloquer. « J'ai rien pu faire Kyo... la voiture, j'ai pas vu, j'ai pas... J'ai essayé pourtant. J'ai appuyé, appuyé, encore et encore sur sa poitrine, mais elle ouvrait pas les yeux et puis l'ambulance est arrivée- »

Un sanglot lui échappe et de nouveau les larmes perlent. Takara se penche en avant de manière à poser son front sur l'épaule de Kyo. Elle ne veut pas qu'il la voit ainsi. Elle ne veut pas qu'il voit ses faiblesses, elle déteste cela. Les mots se bloquent dans sa gorge, mais elle sait qu'il faut qu'ils sortent. Elle ravale sa salive, difficilement.

« Allie est morte... » chuchote finalement Takara et l'avouer à voix haute fait plus mal encore. C'est comme si elle l'admettait, comme si elle l'acceptait. Pourtant non, elle ne veut pas. Elle voudrait que son amie soit encore là, mais c'est impossible. C'est trop tard désormais. L'adolescente se mord la lèvre, réprime la plainte qui monte en elle. Elle enfouie son nez dans le cou de Kyo, respire son odeur rassurante et ressent la chaleur de sa peau contre sa joue glacée.