#Doubt is the key to knowledge ϟ feat. Eva

you can't be strong all the time

Journée ordinaire. Préparer le petit-déjeuner, habiller Ren et Rin, frapper Papa parce qu'il dort encore, aller à l'école, essayer de suivre les cours, déjeuner au gymnase avec l'équipe, l'entraînement, frapper Kahei parce qu'elle fout rien, frapper Kise parce qu'il traîne encore dans ses pattes alors qu'il a rien à foutre là, aller se plaindre à Yukio parce qu'il ne sait pas tenir ses joueurs – oui bon les siennes aussi sont frappées, mais c'est pas pareil ! Une routine à laquelle elle s'était habituée, qu'elle appréciait même. C'était son quotidien et elle en était satisfaite.

Takara souffla et prit une gorgée de sa gourde, l'eau bienfaitrice venant abreuvée sa gorge en feu. L'entraînement s'était terminé un peu plus tôt et les filles étaient déjà parties, mais la jeune fille avait décidé de rester un peu plus longtemps. Profitant du silence du gymnase maintenant que tout le monde avait déserté les lieux, la capitaine savourait cet instant de paix particulier tandis que les rayons du soleil couchant s’engouffraient par les fenêtres, enveloppant la salle de sport dans un halo orangé. Aucun bruit ne résonnait entre ces murs, si ce n'est celui de la balle rebondissant sur le sol en un rythme régulier.

La jeune fille ferma brièvement les yeux, se délectant de la sensation du ballon qui venait taper contre sa main. Relevant la tête, le regard fixé droit sur le panier en face d'elle, Takara emprisonna la balle entre ses mains, évalua rapidement la distance la séparant de son but – cinq mètres, tir en suspension, trois points. Elle n'avait jamais été spécialement douée pour les tirs à distance, privilégiant l'attaque frontale et le combat sous la raquette. D'où justement l'intérêt de ces heures d'entraînement supplémentaires. Il fallait qu'elle s'améliore, toujours.

Inspiration. Sauter. Viser. Tirer. Expiration.

La balle monta dans les airs, décrivant un arc de cercle avant de retomber, inévitablement attirée par la gravité, pour frapper le rebord de l'arceau. Elle roulait, hésitante. Takara la fixait de son regard brûlant, serrant les lèvres et retenant sa respiration. Finalement, la balle pencha et retomba, droit dans le cerceau. Un sourire de pur ravissement étira les lèvres de la capitaine, qui serra le poing avec satisfaction et laissa filer un petit "yes" victorieux entre ses dents, se laissant aller à exprimer brièvement sa joie d'avoir réussi ce tir.

Un bruit de pas, discret pourtant, juste derrière elle, la fit sursauter et Takara se retourna d'un bloc, pour se retrouver face à la coach de son équipe au nom imprononçable. Batsheva. La jeune femme blonde était arrivée il y a quelques semaines seulement pour prendre la fonction de coach sportif jusqu'alors inoccupée et avait de ce fait acceptée la – lourde – responsabilité qui consistait à s'occuper de cette bande de cinglées qui constituait l'équipe féminine. Un travail à plein temps et Takara avait été plus que ravie de cette nouvelle arrivante pour l'aider dans sa lourde tâche.

N'empêche, elle pensait que la blonde était déjà partie. Avait-elle tout vu ? Une légère rougeur envahit les joues de la capitaine, un peu gênée. « Eva ! Euh, je veux dire... coach ! Vous êtes encore là, je croyais que vous étiez rentrée chez vous. »

Rah, elle oubliait tout le temps de l'appeler correctement ! Faut dire que la politesse, autant Takara exigeait que les autres l’emploi correctement, autant elle n'appliquait pas du tout cette règle à elle-même. Mais avec Batsheva, elle tenait à lui montrer qu'elle la respectait vraiment. Elle avait de l'admiration pour l'ancienne athlète et appréciait les efforts dont elle faisait preuve vis-à-vis de l'équipe. A n'en point douter, la force de Kaijo avait augmenté maintenant que les filles avaient un vrai coach sportif pour les entraîner.

Jetant un coup d’œil à l'horloge mural du gymnase, Takara remarqua que cela faisait un moment déjà qu'elle était ici. À pratiquer en solitaire, elle s'enfermait dans son monde et oubliait tout le reste ; y comprit le temps qui passe. Elle se retourna vers la coach. « C'est les profs qui vous envoie me dire de fermer le gymnase ? Désolé, je voulais juste m'entraîner un peu au tir avant de rentrer. »

La jeune fille alla chercher le ballon qui avait roulé quelques mètres plus loin. Elle le prit entre ses mains et le fixa d'un air vague. Le désir de progresser n'était pas la seule raison qui la poussait à pratiquer ses trois points en solitaire. Les souvenirs de la compétition de l'année dernière lui serrait encore douloureusement le cœur dès qu'elle remuait un peu cette partie de son passé. Mais peut-être que Batsheva pourrait comprendre et l'aider elle. Elle ne connaissait pas le passé de sa coach en détail, mais elle savait que la perte de sa jambe avait mit fin à sa carrière. L'histoire de Takara n'était pas aussi brutale et tragique, mais il y avait quelques similitudes tout de même. Et puis, elle sentait qu'elle pouvait faire confiance à Eva.

« Coach, je suppose que comme avez accès aux dossiers médicaux de toutes les joueuses et aux vidéos de nos anciens matchs, vous êtes déjà au courant du classement que l'équipe à fait durant l'Inter-lycée de l'année dernière ? »

Classement... un bien grand-mot. Elles avaient perdues durant le deuxième tour de la compétition, après avoir passé brillamment les éliminatoires et le premier match. Un coup dur pour l'équipe et surtout pour Takara... et son épaule. La jeune fille soupira et se tourna vers la coach, espérant que cette dernière comprendrait où elle voulait en venir avec ce babillage maladroit. Elle en avait mal rien que d'y repenser. Heureusement qu'il n'y avait que Batsheva pour la voir ainsi.

you can't be strong all the time

Ne se faisant nullement réprimandée pour son précédent manque de politesse, Takara se permit un petit sourire très discret. Fallait vraiment qu'elle fasse des efforts là-dessus tout de même – même si c'était certainement beaucoup demandé à la capitaine de Kaijo. Heureusement, Batsheva ne semblait pas lui tenir rigueur de son petit dérapage auditif.

La coach l'acheva d'ailleurs en complimentant son tir. On pût alors observer un phénomène rarissime chez la Kurokawa ; elle rougit. Ses pommettes se teintèrent d'un rose délicat, ses oreilles se mirent à la chauffer étrangement et ses yeux bleus se mirent à pétiller du bonheur de se faire féliciter sur son travail. Dans ces moments-là, Takara n'en avait absolument pas confiance mais elle était drôlement mignonne et si les premières années avaient pût la voir dans l'instant présent, elles n'auraient certainement pas reconnues leur dragonne de capitaine.

« Ce... c'était pas si extraordinaire vous savez ! » balbutia la jeune fille, ne sachant plus ou se mettre. Les compliments et les mots gentils avaient toujours le don de la mettre dans tous ses états, surtout quand ça venait de personnes qu'elles admiraient et respectaient – forcément. Kahei serait venue lui dire combien elle était super que Takara lui aurait plutôt donné un bon coup de pied dans le bas du dos pour lui remettre les idées en place, en lui demandant si elle était pas un peu fiévreuse pour sortir des imbécilités pareils.

Mais en l’occurrence l'appréciation venait de Batsheva et ça changeait tout, d'où la réaction de la jeune fille, qui cacha ses lèvres derrière son poing fermé pour que l'autre ne voit pas son sourire radieux. Fais chier. Elle se donna quelques claques mentales pour se reprendre et alla plutôt ranger son ballon dans le panier prévu à cet effet, chassant ainsi la chaleur qui avait envahit ses joues.

Elle se figea en entendant la suite de la phrase de la coach. Quelque chose ne va pas... A part le fait qu'elle faisait des angoisses nocturnes parce qu'elle se torturait l'esprit avec une erreur du passé et une épaule qui était censée être guérit depuis des mois et qui la tirait encore lorsqu'elle forçait ? Takara se serait volontiers exploser la tête contre les murs. Elle était ridicule à se prendre la tête ainsi pour de telles choses. Elle n'avait pas à monopoliser l'attention de leur coach pour de telles stupidités, surtout à cette heure-ci.

Cependant, l'autre savait comment aborder la sauvageonne capitaine de Kaijo, comme un dresseur approcherait un fauve blessé qui refuse l'aide qu'on veut lui apporter. Takara se retourna vers Batsheva. « S'asseoir ? Oh oui bien sûr ! Pardon, j'ai tendance à oublier... »

Oublier que sa coach avait subit une blessure ? Non ça elle le savait parfaitement et c'était bien une des raisons qui faisait que Takara se sentait capable de parler avec cette dernière de ses propres problèmes – un peu... En revanche, elle avait tendance à occulter complètement la jambe artificielle de cette dernière. Pas sûr de la manière dont Eva risquait de le prendre... la jeune fille grimaça un sourire d'excuse et alla s'asseoir sur un des bancs le long du mur, à côté de la blonde.

Takara prit une inspiration. Par où commencer ? Elle n'était pas douée pour ce genre de choses. Donner des ordres, écouter les problèmes des autres, leur remonter le moral en les bousculant un peu – jamais méchamment, toujours dans l'idée de les dynamiser – ça elle savait faire. Un peu maladroitement certes, mais jusqu'ici ça fonctionnait pas trop mal.

Par contre, parler à cœur ouvert, se reposer sur les autres... niet, nada. C'était quand la dernière fois qu'elle avait eu le temps d'avoir une discutions sérieuse avec sa mère d'ailleurs ? Pff, tellement longtemps qu'elle ne devait même plus s'en souvenir non plus. Ça devait certainement dater de l'époque du collège, ou elle avait eu ses premières menstruations et que sa mère avait jugé efficace de lui faire un cours sur les hommes et les femmes en dix minutes chrono, juste avant de partir au travail. Au final elle lui avait dit d'aller voir sur internet si elle avait d'autres questions en particulier... tu parles. Episode traumatisant de sa vie dont Takara ne voulait pas se souvenir. Surtout pas.

Et après on s'étonnait qu'elle était nulle en relations sociales, t'as vu l'enfance chaotique qu'elle a eu aussi ?

« Je sais pas trop quoi dire en fait. » se décida Takara en optant pour la carte de la franchise. « C'est... je sais pas, il y a plein de choses qui se bousculent dans ma tête. Parfois je me demande si c'est une bonne chose que je sois capitaine. Je veux dire, j'ai complètement foiré cette fois-là. »

Elle parlait bien sûr de l'Inter-lycée, son humiliation personnelle. Takara baissa la tête, des mèches de cheveux s'échappant de sa queue de cheval pour venir camoufler son regard. Sa main se porta par réflexe à son épaule gauche. Aucune cicatrice, aucun changement de couleur de peau. En apparence, tout était absolument normal. À l'intérieur en revanche, ça avait été bien chamboulé...

« J'ai du mal à réfléchir parfois. Bien sûr je veux qu'on aille le plus loin possible, c'est pour ça que j'encourage les filles comme ça. Je sais bien que je suis parfois un peu trop... autoritaire. » juste un peu ? c'est l’hôpital qui se fout de la charité ça... « En même temps avec ce qu'elles me font vivre aussi ! Franchement, des fois j'ai l'impression d'être gardienne dans un jardin d'enfants ! »

Un discret éclat de rire lui échappa à cette comparaison. C'est vrai que les filles de Kaijo mettaient parfois les nerfs et la santé mentale de leur capitaine à rude épreuve, surtout certaines en particulier d'ailleurs – non elle visait personne voyons. Mais elle aimait ça, malgré tout. Pourquoi lutter contre sa nature après tout ? Au moins, l'équipe lui permettait de s'exprimer à sa guise, de se lâcher. C'est pour tout ça que Takara se prenait la tête à essayer de donner le meilleur d'elle-même dans ce « travail ».

HRP: